Seule face à la lagune.

Elle est seule face à la lagune, seule face à la mer, à l’immensité, à la rotondité terrestre, seule face à sa vie.

Sur son visage, dans ses cheveux, se colle la bise humide, un peu poisseuse, qui vient du large. Elle ne bouge pas, elle frissonne. Elle croise les bras sur sa poitrine, protection dérisoire, comme un dernier rempart sur sa nudité. Le soleil s’est couché après avoir lancé dans le ciel une dernière lueur rouge sombre, agonisante. Seule, elle ne l’a jamais été à ce point. Comme si devenue transparente, immatérielle, elle ne pouvait plus interagir avec le reste du Monde. Comme si cessant d’être elle-même, elle approchait de plus en plus, dangereusement, d’un point de dissolution. Est-ce moins douloureux de cesser d’exister? Venise, ce serait tellement plus beau, tellement différent à deux. Mais elle a fini par ne plus croire que ce « deux » là puisse exister, fusionnel, passionné, confiant. Elle aurait juste voulu qu’il y ait des bras pour la serrer, des bras solides pour la réchauffer, ne pas la laisser. Et ne plus bouger, rester là, simplement, à écouter le clapotis des vagues sur le quai. Toujours la même quête sur mille visages, dans mille regards, pendant mille ans. Et le même rêve qui se dérobe à l’infini, puis moins que le rêve, un peu d’amertume, moins encore que du regret, la bise glacée, le vide. Quelle idée aussi de venir passer ses vacances ici! Elle n’a plus le courage de revenir en arrière, de se réfugier à l’hôtel, de reprendre le train. Elle n’a plus le courage de rien. Le bas de son manteau claque doucement. Un miaulement, un chat qui vient se frotter contre sa jambe. Elle s’agenouille pour caresser la petite tête. Tu me comprends toi, n’est-ce pas que tu me comprends? Elle pleure, solitaire dans la nuit vénitienne, au bout de la piazzetta, au bout de nulle part. Elle pleure de toute cette tendresse sans objet qui l’habite et qui déborde.

2 réflexions au sujet de “Seule face à la lagune.”

  1. Tout cela est vrainment trop mélancolique.
    Je lis comme une succession de coups de blues.
    Tout est regret, nostalgie, mélancolie et solitude.
    Ca sent l’abandon, la petite cosette d’Hugo, La petite fille aux allumettes d’Andersen.
    Mais ou est la femme?

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    • Elle était à naître encore. Quand j’ai écrit ces quelques lignes, elle vivait en hiver. Puis est venu son printemps et la transformation.

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