Hôpital psychiatrique.

Ce dimanche là, j’allais comme parfois faire une visite à l’hôpital psychiatrique. On était en hiver, il faisait très froid, et la bise poussait par vagues des cristaux de glace qui me mordaient le visage. C’était une de ces journées où le jour ne se lève qu’à moitié, où la lumière est grise, où l’on se prend à douter que le printemps puisse revenir.

Dans l’immeuble, tout est verrouillé, portes, armoires, fenêtres, ascenseur également. Il y avait là, seule concession visible à l’obscurité de la journée, une jeune infirmière au regard pétillant derrière d’épaisses montures noires. Mais comment faisait-elle pour sourire à chacun ? Je lui ai demandé l’ascenseur pour me rendre à destination. Avec moi est montée une dame d’un certain âge. Elle avait l’allure et l’air affairé de ces femmes qui se rendent au marché de bon matin avec en tête la liste des courses. Ne lui manquait que le cabas. La porte coulissante s’est refermée. « Je vais au deuxième ! » m’a dit la dame, « je vais au deuxième ! », une fois, deux fois, dix fois… Staccato interminable de deuxièmes étages tandis que nous montions. « Au deuxième ! » lui ai-je répondu alors qu’elle poursuivait sa litanie. Elle avait son idée, son idée fixe. Et rien, ni mon regard, ni ma voix, ni le sourire que j’essayais d’esquisser ne pouvait l’en distraire. Et puis nous sommes arrivés.

Ça n’était pas la première fois que je vivais une telle scène, il y en avait eu d’autres alors que j’étais stagiaire dans un EMS, il y en aurait d’autres. Mais j’y retrouvais une fois encore le même sentiment de ne pas parvenir à communiquer. Je voyais dans cette grande maison la somme de tous les enfermements. Comme si cet univers avait été la négation de l’interaction. Chacun y vit dans un monde qui lui est propre, avec ses règles qu’il est seul à connaître, et parle un langage étranger. Tour de Babel.

Voilà pour ce dimanche de février et pour l’hôpital psychiatrique. Quant à moi, en attendant le train du retour, je me suis dit qu’il faudrait que nous prenions garde. Garde à maintenir nos sens et notre esprit en éveil pour ne pas construire un monde où chacun a quelque chose à dire mais où il n’y a personne pour écouter, garde à ne pas s’enfermer dans de petites vies murées d’habitudes, garde aux certitudes trop vite acquises… Pour que jamais nous ne devenions des fous captifs d’un asile à l’échelle de nos vies.

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