Quelques lignes dont je ne t’avouerai jamais qu’elles parlent de toi.

L’Ange de ce matin là était noir, imposant. Il portait la livrée et le chapeau un peu désuet des portiers de grands hôtels. Je l’ai bien vu, du coin de l’œil, qui nous souriait, quand on s’est embrassés sur le trottoir.
Notre hésitation ne lui a pas échappé : j’avais choisi ses lèvres, et elle ma joue. Qu’est-ce qu’on essayait de se dire ? Ce fut la douceur de ses lèvres. Et dans mon dos, ce sourire, très grand, très blanc, très franc, qui n’avait rien d’entendu, et tout d’une bénédiction. Puis je n’ai plus aperçu que son visage, en plan serré, comme au cinéma, quand on veut souligner l’intensité du dialogue. Au milieu du brouhaha, elle m’a dit merci. Pourquoi ? Je ne sais plus. Pour des choses pour lesquelles on ne dit pas merci, d’habitude. Maladroitement, j’ai passé les bras autour de son cou. Qu’est-ce que j’essayais de lui dire ?

Qu’est-ce que je déteste les adieux, quand bien même ce ne sont que des au revoir, quand bien même on peut nier s’être rencontrés vraiment, quand bien même ils étaient programmés !

Elle s’est éclipsée sans que je me retourne sur sa silhouette fragile. La suivre des yeux, c’aurait été franchir du regard la ligne blanche au milieu de la route, au milieu de nous, songer à après, à demain, à plus loin, et je n’en avais pas le droit. Je connaissais les règles, n’est-ce pas ? J’ai juste entendu notre Ange lui souhaiter une bonne journée, juste vu la poussière dorée que soulevait le soleil matinal, je me suis juste dit que c’était une magnifique journée de printemps, qui débutait.

Entre la porte et moi, il y avait quelques pas, que je n’ai pas franchis tout de suite. Quelque chose me retenait sur cette portion de bitume, quelque chose de ténu que j’aurais bien voulu nier, un petit pincement au cœur. Je me suis demandé si elle aussi peinerait à revenir au monde, à ne pas se faire rattraper par des mots, des gestes, des odeurs, et comment elle ferait pour s’en débarrasser.

Comme un fugitif, j’ai rassemblé mes quelques affaires, quitté la chambre qui avait cessé de vivre. Je me suis laissé avaler par l’ascenseur pour dégringoler d’un septième étage qui n’était pas un septième ciel, pour régler sans la lire une note qui n’était qu’un obstacle à mon évasion, pour me retrouver dans la rue, le souffle court, à tenter de semer mon trouble. Et me rendre compte soudain que le portier s’était dissipé, qu’il n’avait peut-être même jamais existé.

Dans la ville à son éveil, les passants, les autos, se sont mis à tourbillonner. Les allées, les boulevards ont commencé à chavirer, les immeubles à basculer, la terre à culbuter, l’univers à chuter. Et dans ma course, je n’ai plus entendu que mon cœur, devenu soudain bien trop gros, bien trop lourd, qui battait, qui battait.

Qui bat encore.

4 réflexions au sujet de “Quelques lignes dont je ne t’avouerai jamais qu’elles parlent de toi.”

  1. Tu avais pourtant plein de lecteurs et surtout des lectrices, que sont-ils devenus?
    Moi j’aime ce que tu écris, les titres, bref tu construis ton monde et l’on s’y retrouve parfois,
    c’est bien , j’espère que tu vas bien et
    bonne journée aussi.

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    • Tombé est le juste mot! Par essence ou par vocation, je ne suis ni ange, ni juste. Parfois bon par nécessité, et encore: à temps partiel. Ce que je sais, toutefois, c’est que nous sommes là pour prendre soin les uns des autres, et qu’il vaudrait mieux commencer tout de suite 🙂

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