Pourquoi y a-t-il un avant et un après?

Comment est-ce qu’on tombe amoureux ? Pourquoi y a-t-il un avant et un après? Hier soir et ce matin ? Pourquoi est-ce qu’il ne sait pas où il est, pourquoi il n’y croit pas, et pourquoi il espère tant ?

C’est une histoire banale, n’est-ce pas ?

Un soir de retrouvailles, dix ans après, dans une brasserie, avec au milieu de la table une bougie. Et ses yeux dans lesquels il s’est perdu, qu’il ne parvenait à quitter, comme s’il n’y avait plus eu au monde que ce regard là. Elle lui a dit qu’elle avait l’impression de parler beaucoup. Mais il l’aurait écoutée des heures, il l’aurait écoutée même si elle n’avait plus rien eu à dire; il aurait voulu qu’elle ne s’arrête pas. La flamme dansait, et le temps n’avait plus cours. Elle lui a dit ses quinze ans, la pluie et les larmes sur son visage. il aurait voulu la toucher pour être plus proche d’elle, certain qu’elle était réelle. Il n’a pas osé. Grave, elle lui dit ses hommes. Rieuse, elle lui a dit quand elle vendait du pain et des brioches. Espiègle, elle lui dit d’autres choses encore. Et la flamme toujours éclairait cette heure magique qu’il aurait voulue infinie.

Et ils se sont séparés, dans sa voiture. Adieux presque secs tant il avait de peine à la quitter.

Puis un no man’s land – impression de retour à la normale – avec juste en filigrane le sentiment diffus que quelque chose lui manquait. Routine rassurante des objets familiers qu’il retrouvait à leur place, dans la nuit. Ensuite encore, sans transition, un sommeil qui le portait. L’impression de flotter à la surface d’une mer qui le matin venant le ramènerait à la rive. Et fugitif, un rêve où il la retrouvait, simplement, dans une vie de tous les jours qui n’existe pas vraiment.

Eveillé peu avant que le réveil ne sonne, il a retrouvé la routine organisée de ses jours ordinaires comme si rien, absolument rien n’avait changé. Douche et brosse à dents ; départ dans l’aube naissante avec juste ce léger arrière-goût d’exil, presque imperceptible. Le bus est arrivé, il pleuvait un peu. Il emportait avec lui cette impression ensommeillée, ouatinée et confortable d’anesthésie.

Premières heures du matin et premiers visages souriants au travail. Peu à peu le ciel s’est dégagé ; de plus en plus bleu au cours de la matinée. Il se taisait, l’esprit figé, les pensées au ralenti, de plus en plus, suspendues enfin. Puis entre les nuages, le soleil est apparu ; un soleil de printemps en hiver. Et tout d’un coup, ce fut l’éveil, la perception aiguë de ce qui l’entourait, l’impression que le lac, les montagnes, la brume, son univers s’étaient soudain transformés.

Que tout cela prenait un sens en regard d’un être.

Et maintenant il vit, intensément, presque douloureusement. Avec pour seule pensée l’espoir de la revoir.

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