Alors oui, il y a le silence dans la campagne*, l’impression qu’on m’a laissé seul, tout-à-fait, pour tout le dimanche, pour toute la vie, sur l’Ile désertée, de ses habitants, de nos dialogues, de tout sourire derrière les masques. Il y a les animaux, certes, le bouc, la ponette qui m’emmène loin au-dessus de moi-même. Mais ils se taisent, et on regarde la Mer, vide. Même le petit restaurant n’ouvre plus.
Pourtant j’y suis moins solitaire qu’il ne paraît. Des regards m’y suivent, de la ligne de crête, gardiens attentionnés. Et quand je me crois épuisé, que je songe à m’arrêter, que je voudrais m’asseoir au bord du sentier, à chaque fois il y a. Des mains qui me poussent, des cordes qui se tendent par-dessus l’abîme, des échelles qui se dressent, des fanaux agités dans la nuit. A chaque fois. Une poigne assurée pour me retenir de trébucher, me garder sur le chemin chez toi, me propulser en avant, immanquablement en avant, vous devez être plus fous que moi encore. Ou bien savons-nous juste avec notre coeur.
Il y a donc eu. Un étonnant dentiste, qui en plus de me rendre mon sourire m’a rappelé à une humanité partagée, comme l’avait fait jadis un ingénieure atomiste russe qui en quelques mots d’un anglais hésitant m’avait démontré l’acception du mot menschkeit. Nous ne sommes pas seuls sur la route que nous avons choisie, nous ne le pourrions pas.
Et puis toi, qui a inventé ce post-it que tu m’enverras peut-être un jour et sur lequel il est simplement noté
N’oublie pas: Rose t’aime.
* Le silence dans la campagne, Edouard Estaunié, 1926