Danser au bord du Monde

Dans la quiétude revenue, au début de l’après-midi, un soleil doux m’a invité dehors. Comme impatient. Je suis sorti en me disant que j’avancerais à réparer ce mur qui ne presse pas, qui est important, mais qui ne m’a pas dit pourquoi.

Arrivé dans le champ, j’ai retrouvé Iris la ponette et Gengis le bouc, étonnés de me voir là de si bonne heure. Et crois-moi, quand-bien même ils ne parlent pas, ils savent parfaitement exprimer leurs pensées. Il suffit de les observer. Les pierres donc, mais non: Il y avait comme un air de gaîté qui m’appelait à autre chose.

Cette semaine, je l’avoue, j’ai eu l’impression d’atteindre le bord du Monde. Et que faire au bord du Monde? Chuter? Retourner d’où j’étais venu? Non! Ni l’un ni l’autre, tant tes mots m’ont rappelé que cette histoire est belle, et tant j’ai envie d’en connaître la suite. Alors danser peut-être, esquisser quelques pas au moins, même maladroits, rappeler là un peu d’espièglerie.

Je n’avais jamais osé jusqu’ici, par crainte de l’accident, des regards, de ses réactions, mais aujourd’hui j’ai saisi un licol dans l’abri. Pour le passer à Candy, la ponette difficile, craintive, qui attaquait jusqu’au chat, et dont les propriétaires avaient fini par se débarrasser. « Elle est rude, vous verrez! » M’avait-t-on dit. Puis les mois passant, mes efforts pour la rassurer avaient donné leurs fruits, elle avait cessé de coucher les oreilles à mon approche et nous étions devenus familiers. Quant à sortir…

Elle est venue comme si elle n’attendait que ça, depuis longtemps, avec ce mélange d’énergie, d’obéissance et de confiance presque absolue qu’on attend d’un grand cheval. Me sidérant, m’émerveillant, comme si elle avait choisi ce dimanche-là pour me dire merci à sa manière, des jours de patience, des jours de pluie, des jours de vent, où j’étais venu sans me lasser m’occuper d’elle. Et nous sommes montés ensemble, par des voies escarpées, jusqu’où l’on domine la mer, et plus loin encore. Elle le pied ferme, elle m’écoutant, elle n’ayant crainte ni des automobiles, ni des chiens, ni de rien.

Des enfants qui jouaient au football s’en sont émerveillés et nous ont dit bonjour. Mais pourquoi n’avions-nous pas fait ça avant? Et je voyais son plaisir évident, comme si c’était juste naturel que nous soyons là, elle et moi. Alors sur le plat, nous avons couru – je viens justement de me remettre à l’exercice – côte-à-côte, son petit trot correspondant exactement à ma foulée, effrayant au passage une promeneuse. J’ai eu l’impression que nous nous envolions. Est-ce la fatigue, autre chose, je ne sais pas, mais alors que j’écris les lignes de cet épisode qui peut sembler plus que banal, de grosses larmes reconnaissantes sillonnent mes joues.

Et moi, quand bien même je suis toujours aussi gauche et je n’ai pas acquis le sens du rythme, j’ai envie d’un jour danser avec toi.

Dance me through the panic ’til I’m gathered safely in
Fais-moi danser à travers la panique jusqu’à ce que je sois en sécurité
Lift me like an olive branch and be my homeward dove
Soulève-moi comme un rameau d’olivier et sois la colombe me montrant mon chemin
Dance me to the end of love
Fais-moi danser jusqu’à la fin de l’amour

Dance Me to the End of Love – LEONARD COHEN (1984)

Laisser un commentaire