La pluie, dense, régulière, occupe l’espace en entier, la mer très sombre, le ciel très bas, la terre qui s’érode et ravine. Elle semble délaver un cliché en gris et blanc, lui ôter tout contraste, le figer. N’est-ce pas toi qui m’as dit un jour que l’immobilité c’est la mort?
Où es-tu? Je veux dire toi dans ta robe à volants, quand tu venais frapper à l’improviste au carreau embué, et qu’assise sur le lit tu lisais Olivier Rameau? Où est la Rose de la photographie sur laquelle je viens de tomber, dix ans plus tôt, peu avant Noël, quand tu poses ta main sur mon épaule? Est-ce que c’est elle que j’aimais? Est-ce qu’on nous l’a enlevée? Est-ce que j’aurais pu te défendre mieux, t’éviter des douleurs, quitte à nous risquer, quitte à y perdre mon humanité, te dire plus, te dire moins, te montrer d’autres chemins, trouver d’autres mots, qui auraient changé les choses? Ne jamais venir, repartir, ne pas te troubler? Est-ce qu’avant-hier encore j’aurais dû te parler de mes envies, pas de mes peurs? Te demander pardon? Est-ce qu’elle s’est dissoute, dans le temps et sous les averses, cette Rose sur l’image?
Quand tu me tiens à distance, que tu refuses de dire demain, que tu ajoutes des jours aux jours, j’ai envie d’y croire, ça serait facile. Moi qui ai tant de peine à. Laisser infuser le temps.
Pourtant, même si je croyais en être sûr, l’instant suivant le démentirait. Parce qu’il suffit, que ton regard cherche mes pupilles, que tu tiennes ta main dans la mienne, que nos fronts se rejoignent. Pour que je sache, que je sois certain, instantanément, que c’est toi, que tu es là, que tu n’as jamais cessé de l’être. Et pour que je le sache encore sous la pluie de ce samedi soir.
Oh et puis, tu sais, puisque tu es là et que tu lis ces lignes, la maison, les enfants, le chien, le crissement des pneus sur le gravier de l’allée, je n’y ai jamais cru, j’ai juste su, qu’un jour tu serais là.