A sept-mille mètres, juste au-dessus des brumes printanières, éblouis de blancheur, tu m’as dit que ce serait bien de rester là toujours.
Malgré les vibrations de la cabine et ma crainte de retomber trop vite, tu avais raison. On aurait bien dû ne jamais redescendre, ne jamais se dire au-revoir, ne jamais retourner dans la circulation bruyante de la ville trop grande. Continuer à peupler ce no man’s land étrange qu’on habite parfois le temps d’une fin de semaine. Comme une maison louée juste pour quelques jours. Sur une dune au bord de l’Océan. Trop belle pour que ce soit vraiment la nôtre, et cependant si étrangement familière. Ce pays curieux dont j’ai l’impression qu’on doit être les seuls habitants. Toujours en basse saison. Où l’on ne met pas de soi, et pourtant. Où l’on s’interdit les sentiments, et pourtant. Où ça n’est pas la vraie vie, et pourtant. Ces heures à s’apprivoiser, à trouver l’un pour l’autre les gestes et les mots, à s’émouvoir. Ces jours intangibles comme les songes, et qui néanmoins s’inscrivent dans la continuité. Pour, juste après, se désapprendre, tenter de s’oublier, de s’effacer. Ne réussir qu’à moitié. Parvenir à estomper les lignes sans pouvoir gommer les sillons sur le papier. Se dire enfin que ça serait bien de réécrire la même page. Juste une fois, la dernière. Et puis une fois encore… Pour se confronter à nouveau à l’amphibolie¹ de nos démarches, se demander si c’est par hasard vraiment qu’on s’est rejoints au fond de cette impasse ; si on ne se ressemble pas un peu plus qu’on ne le voudrait. Pour tenter de ne pas laisser d’indices, mais finalement semer plein de petits cailloux. Pour ne vouloir vivre que l’instant, et enfin ne pas réussir à éviter de conjuguer les verbes au futur. Pour s’interdire les souvenirs, et laisser quand-même un peu de soi en arrière.
Je suis loin de toi. Si loin. Et pourtant, je sens toujours ta main dans la mienne.
¹Nom donné par Kant à une forme particulière d’équivoque, qui consiste à rapporter à la même faculté les objets propres de deux facultés différentes.
Ces 2 textes sont magnifiques,
merci pour tout ce que tu partages depuis longtemps sur ce blog, tes silences et cette tristesse lointaine.
Quand j’y songe, c’est bien moi qui suis allé me perdre au fond de cette impasse, et pas quelque sort malicieux ou quelque tentation plus forte que moi qui m’y aurait poussé. Si ça n’est pas douloureux, au moins un peu, c’est peut-être que ça n’en vaut pas la peine… Enfin je crois. Merci de me lire toujours.