Rester encore un peu.

Dans sa chambre, sur la table de chevet, il y avait dans un cadre argenté une photographie d’elle, dix ans plus tôt, un visage de madone.

Dans un instant, ce sera l’appel. J’attendrai mon nom, en milieu de liste, pour répondre « présent », l’arme en bandoulière par devant.

Le ciel peut être bleu, les hirondelles revenir. Les magnolias peuvent bien fleurir, les pelouses reverdir, ça n’est pas mon printemps. Le mien n’est pas comme ça, c’est une autre saison. C’est un jour de mars où elle a cueilli une pâquerette pour me la donner. C’est un matin, qu’il est loin, où dans ma main elle a glissé la sienne.

Premier-lieutenant, avec mon fusil, j’ai vraiment l’air d’un con. Tes ennemis ne sont plus les miens. Je n’avais qu’elle et son enfant à défendre, et maintenant j’ai plus personne.

J’veux plus regarder les avions qui passent, c’est devenu trop haut pour moi. Un jour de soleil, un jour comme celui-là, elle et moi, on avait plané sur le Mont-Blanc. Bon dieu qu’elle était blanche la neige là-bas, bon dieu qu’elle était blanche… Pourquoi faut-il donc qu’on finisse toujours par atterrir ? On est allé trop vite, trop haut, trop loin. J’aurais voulu être simplement son ami, jusqu’à ce qu’elle reprenne confiance dans son pas, jusqu’à ce qu’elle vienne à moi.

Ce soir, quand on aura éteint les lumières du dortoir, je ne m’endormirai pas tout de suite dans mon lit de quatre-vingt centimètres sur deux cent dix, j’entendrai encore une fois son souffle quant elle dormait, et j’essayerai de penser à elle si fort qu’elle le sente. Est-ce qu’elle pense encore à moi, des fois ?

Des remords ? Négatif ! Des regrets ? Négatif ! J’ai pas menti, j’ai pas triché, je l’ai aimée trop fort, c’est tout. Je l’ai aimée trop fort.

Premier-lieutenant, pourquoi tiens-tu à ce que je marche ? Mon chez-moi, c’aurait dû être là-bas. Maintenant j’peux plus y aller. Laisse-moi m’arrêter sur le bas-côté. Y a des hommes qu’ont des sentiments, mon vieux, y en a, tu sais. Toi, t’y crois pas. Elle non plus n’y a pas cru.

Un jour, sur le pas de porte, je l’ai serrée très fort. J’aurais voulu ne jamais la lâcher. J’étais ivre de son odeur, de la sentir tout contre moi, de passer ma main dans ses cheveux. J’aurais dû ne jamais la lâcher.

Premier-lieutenant, sur quoi donc veux-tu que je tire ? Elle a donné la vie, tu veux pas que je la prenne. Son môme, t’en feras pas un soldat, j’y veillerai mon vieux. T’en feras pas un soldat. Elle a donné la vie, qu’est-ce que j’aurais voulu être près d’elle ce jour là…

Elle aurait tué, elle aurait volé, c’aurait été une traînée, je ne l’aurais pas moins aimée. Que m’importe son passé, ses hommes, ses pêchés, elle sera toujours sincère, et ça je le sais. Qu’est-ce que je voudrais qu’elle pleure maintenant, qu’est-ce que je voudrais que chacune de ses larmes la réconcilie avec la vie, la réconcilie avec moi…

Que dis-tu, Premier-lieutenant, qu’il pleut, que je peux rentrer maintenant ? Attends, je vais rester encore un peu, des fois qu’elle m’appellerait, des fois qu’elle m’écrirait…

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