Avant-hier en fin d’après-midi, j’ai croisé mon ami le croque-morts. C’est un imposant gaillard débonnaire au regard attentif et doux. Il a ce sens de l’humour un peu particulier qui lui fait dire en guise de salutations : Content de ne pas vous avoir eu comme client ! Je subodore qu’il veut dire par là qu’il est heureux de me revoir.
Nous avons parlé du temps bien sûr, de son travail un peu : le lendemain il y aurait vingt et une incinérations. Je lui ai rendu visite déjà, dans ce crématoire qui surplombe un cimetière qui ressemble davantage à un grand jardin qu’à une nécropole. Je l’y ai retrouvé, grand ordonnateur d’un univers feutré, attentif aux vivants bien plus qu’aux morts. A son contact, le tragique d’un départ définitif se mue en une continuité qui réconcilie avec la vie. Les larmes cessent de couler. Il porte en lui cette sérénité qui fait apprécier le moment plutôt que regretter le passé.
A chaque fois que résonne à mes oreilles son fameux et parfois tonitruant « Content de ne pas vous avoir eu comme client ! », c’est l’accessoire qui s’efface et l’essentiel qui s’impose. Comme si cette boutade un peu iconoclaste était là pour me dire :
– C’est maintenant le temps de vivre et d’aimer, de regarder ton vis-à-vis comme ce qu’il y a de plus important au monde, d’oublier le reste. Parce que le reste, face à la mort, ça ne compte pas beaucoup.
J’aime songer à cette finitude qui donne envie de vivre, de ressentir, d’aimer.