La file de voitures embouteillée. Stops allumés dans la nuit pluvieuse. L’asphalte miroitant de taches colorées. L’avenue remontée sur un tapis rouge et brillant qui aurait pu mener à une fête étincelante. Où l’on se serait rendu en ciré jaune, chapeau de pêcheur, plutôt qu’en smoking.
L’haleine qui se joignait à la brume orange et glacée en volutes autour des réverbères. La rentrée tardive sous le toit crépitant de grosses gouttes. Qui ne troublaient pas la quiétude des combles. Plus silencieuses que le silence lui-même. Bruit blanc, ouatiné et absorbant.
Puis la voix au téléphone, égale, longuement. Nouvelles d’un monde dont j’avais craint un instant qu’il ne sombre. Se dissipe. Là-bas il y a un chat qui a mangé. Ici il y a les poissons, les yeux noirs contre la vitre, qui réclament leur pitance. Puis qui virevoltent, tournoient, volant, aériens, à la poursuite d’un flocon. Il y en a toujours deux qui veulent le même. Alors qu’il y en a cent.
Dans la bibliothèque il manque un livre. Prêté. Etrange que ta main ait pris Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien de Jankélévitch. Recherches-tu les mêmes lumières ?
Et encore les mots qui s’enchaînent, dans la quiétude de la nuit, sur le divan. Jusque tard. En suivant du regard la ligne de petits lampions électriques aux abat-jour de bambou. Et la tasse de thé parfumé pour épiloguer sur ce temps qui passe. Sans moi.
Petit éloge de l’immobilité.
Tu es tout près, attendue.
Comment des années si courtes se fabriquent-elles avec des journées si longues ? [Vladimir Jankélévitch]
N’être pas vraiment là quand une personne manque. Etre comme un fantôme, voir, seulement voir, mais ne pas ressentir le plaisir d’un instant,( futil ?), fut-il le plus doux puisqu’on ne le partage pas avec l’être aimé. Voir le bonheur sans pouvoir s’en réjouir vraiment, sans pouvoir le toucher, se l’approprier. Le manque recouvre tout d’un voile douloureux, d’ennui.
« (…) Il lui a fallu du temps pour comprendre, je veux dire comprendre
vraiment, aux tréfonds de son être qu’il ne viendra plus. Ses jours sont
vides de sens, ses gestes quotidiens sont devenus inutiles. Elle a l’impression de vivre sans avancer des heures jamais achevées. (…) » [Montreur d’étoiles]. Pour ma part, je me veux plutôt en exil de terres vers lesquelles je vogue, pour que mes jours deviennent ceux du retour, et ma nostalgie celle des instants à venir…