Aujourd’hui, je ne suis pas allé travailler. J’avais en poche un feuillet intitulé Ordre de marche. Le dernier.
Cédric m’a rejoint devant la maison. J’ai rigolé de le voir ployer sous la charge de son barda mal arrimé. On a posé nos fusils contre le mur de pierre. Au soleil. C’était étrange de se voir ainsi sans uniformes, avec tout ce matériel guerrier. Le voisin est passé avec des anecdotes de son époque. Ça fait longtemps qu’il a terminé.
Et puis Didier est arrivé dans sa petite voiture blanche. On a casé tant bien que mal nos affaires dans le coffre qui peinait à fermer. Ça n’était pas un vrai départ, comme il y en avait eu tant d’autres. En fin d’après-midi, on serait rentrés. Alors bien sûr, le moral était bon le long de la route. On a ressassé nos souvenirs. C’était en quelle année ? J’étais décalé. Ailleurs. Ils m’ont demandé en raillant si c’était l’émotion. Bien sûr que non !
J’étais encore hier soir, après minuit, dans ce dernier train qui me ramenait en cahotant. Le sourire aux lèvres, inexpliqué, et cet étrange sentiment de paix qui m’avait envahi.
Dans la vaste halle, il y avait quelques têtes connues, des saluts joyeux. Et tout s’est passé curieusement vite. Un major nous a remerciés pour les services rendus. J’ai tendu mon fusil à un grand gaillard tout en lui disant que je ne voulais pas m’en défaire. On a plaisanté. Un peu plus loin on a déposé notre équipement sur des palettes. Ça semblait étrangement simple.
J’ai serré la main du major, et je me suis retrouvé dehors, sur la pelouse. Les autres m’ont rejoint. Alors voilà, c’était fini les nuits de garde devant les ambassades, les marches qui n’en finissent pas, les retours en caserne le dimanche soir, cette odeur particulière de cuir graissé. C’était fini aussi les copains et nos beuveries jusqu’à pas d’heure. C’était fini. Sans regrets.
On est allé boire un verre, deux en fait, en se rappelant cet autre temps. Il faisait très doux sur la terrasse ombragée. C’était notre premier pastis de la saison. Ils parlaient avec passion de ce monde gris-vert définitivement quitté. Presque avec surprise tant il nous avait habités.
Moi, j’étais encore dans ce train. Le sourire aux lèvres.