Il y a d’étranges légendes urbaines nées d’une étincelle de pragmatisme. L’une de celles qui courent à mon sujet au sein d’un petit groupe d’initiés m’a souvent porté à sourire, mais également à la réflexion.
Elle date de l’époque où j’étais responsable d’une équipe. Durant mon service, je portais en permanence dans la poche de ma chemise un petit carnet rouge. Il me servait à ne rien oublier des tâches supplémentaires à exécuter dans des journées déjà chargées. C’était juste l’instrument d’application d’un systématisme qui caractérise mon travail. C’était aussi une manière de me libérer l’esprit de détails qui auraient pu m’accaparer, et d’y revenir plus tard. Peu à peu est née une rumeur selon laquelle j’entretenais sur chacun un dossier parallèle auquel je me référais en cas de désobéissance. Jusque-là rien de grave.
Puis un jour, quelqu’un a émis l’idée qu’il y avait non seulement un petit carnet, mais également de grands classeurs. Et que dans le petit carnet je notais mes petites joies, tandis que dans les grands classeurs je reportais mes grandes peines. Par la suite, je me suis demandé souvent quelles seraient les proportions de mes joies et de mes peines si je les avais toutes écrites. Sans doute mon subordonné n’était-il pas loin de la réalité.
Ce que la vie m’a appris, par contre, c’est que si on avait mis le petit carnet sur un plateau de balance, il se serait révélé beaucoup plus dense que les nombreux classeurs.
Il suffit souvent d’un sourire pour illuminer toute une journée.
Cette façon de souspeser les joies et les peines a un côté scientifique et poétique à la fois. Je suis d’accord, il faut des classeurs, mais les petits carnets pèsent bien plus lourd. Tant mieux !
Ah mon cher Patrick! Les sentiments on une logique propre; elle n’est pas rationelle. Pourquoi sont-ce les choses les plus importantes qui restent les plus indémontrables?