A nos chers disparus, bien vivants heureusement. A ces visages aimés, simplement dissipés, sans donner d’explication. Aux fantômes d’un passé toujours présent.
Aux compagnons de route manquants, depuis parfois très longtemps. Aux interlocuteurs invisibles dont on imagine encore les répliques. Aux à demain, aux à bientôt qui se sont prolongés un peu trop. Aux adieux qui n’ont jamais eu lieu.
A ces instants souriants dont on a découvert plus tard qu’ils étaient les derniers. A nos courriers restés sans réponse. A ces présences amies parties sur la pointe des pieds alors que tout dormait. Aux deuils qu’on n’a jamais portés.
Aux lettres qu’on n’ose relire, aux photographies qui restent dans leur tiroir, aux souvenirs qu’on ne veut se remémorer, bien trop actuels. Aux appels qu’on attend encore. Aux objets sans importance que l’on garde pour rien, pour demain.
Aux maisons trop vides, aux sièges où personne ne s’assied, aux pianos dont personne ne joue. Aux lieux qui ont gardé des empreintes. A ces villes devenues trop grandes. A ces voyages où l’on a laissé une part de soi-même.
A ceux que l’on nomme dans les plus secrètes de nos prières. A ceux qui occupent notre première pensée au réveil. A ceux que l’on croit retrouver dans une silhouette au loin, la démarche d’un passant, un inconnu de dos. A nos absents.
Je veux dire :
C’est pour vous que nos portes restent ouvertes le soir, que nos veilleuses sont allumées dans le noir, qu’il y a toujours un couvert de plus. C’est pour vous que nos noms sont inscrits dans l’annuaire, que nous fréquentons inlassablement les mêmes endroits, que nous ne changeons pas d’adresse. C’est pour vous que nous allons chaque jour à la boîte à lettres, qu’il y a un téléphone sur nos tables de chevet, que nos valises sont toujours prêtes.
Nous ne vous poserons pas de questions, nous ne vous ferons pas de reproches, nous n’évoquerons pas le passé, nous ne revendiquerons rien. Il y a juste une place à nos tables qui vous attend, une poignée de main déjà prête, des bras pour vous étreindre. Il y a un café comme vous le préférez, une bouteille de celles que vous aimez, notre sourire pour vous accueillir.
Ensuite, vous pourrez faire ce que vous voudrez. Rester bien sûr, revenir si vous le désirez, rompre les ponts si vous en avez le cœur. Mais alors, ce qui devait être dit l’aura été, nous n’aurons à votre sujet plus d’inquiétudes, nous pourrons clore d’un point votre chapitre. Ou bien en écrire d’autres, toujours plus beaux…
Un soir encore, mais avec vous.