Il faut des journées comme celle-là pour y semer les autres.

Ç’aurait dû être une morne journée. Le soleil, déjà, qui ne voulait pas vraiment se décider. Et puis le temps, toujours arrêté.

Il en faut de ces journées-là pour y semer les autres. Comme il faut des larmes pour arroser l’existence. Pour qu’elle ne soit pas comme une campagne où il ne pleuvrait jamais, où rien ne pousserait.

J’avais les yeux rougis de ces scripts qui n’en finissaient pas de défiler sur mon écran. En buvant des cafés trop sucrés, nous parlions de killer application, de flux RSS et de balises ICBM comme des choses les plus importantes au monde. Mais dans une vie, ces choses-là, ce sont juste les meubles.

Et puis Paolo est arrivé, pas vraiment en avance, avec un petit pot dans chaque main. Dans l’un il y avait des framboises, et dans l’autre des fraises de son jardin. Servez-vous! Nous a-t-il dit.

Quand j’ai senti la première fraise s’écraser sur ma langue, ce sont tous les bonheurs de mon enfance que mes papilles ont fait ressurgir. Des vacances d’été comme des vies heureuses. Un arrosoir en plastique. Mes espadrilles bleues. Le sirop à la menthe que mon grand-père appelait l’eau verte. La cueillette des groseilles et les épines auxquelles il fallait faire attention. La confection des confitures, tout un art. La fraîcheur du grand vestibule dallé quand je rentrais pour midi. Le thé à la bergamotte quand il y avait de la visite, dans des tasses de porcelaine vertes et blanches, avec des coeurs de france. Des doigts tachés du rouge d’autres fraises… Elles avaient un goût que j’avais oublié, ces fraises-là, un peu acidué, pénétré de toutes les rosées du matin, de tous les sucs du jardin.

Et alors je me suis pris à penser en souriant qu’un jour peut-être il y aurait un plus petit que moi à qui je pourrais le faire découvrir, ce petit goût si attachant. Un plus petit qui sans le savoir se fabriquerait des souvenirs auxquels plus tard il repenserait. Et moi je me tairais, mais je saurais…

Le savait-il mon grand-père, lorsqu’il me regardait manger les fraises du jardin?

2 réflexions au sujet de “Il faut des journées comme celle-là pour y semer les autres.”

  1. Cher Bob,

    Ça m’a fait réfléchir… je me souviens de ton grand-père, avec son grand sourire si caracteristique… Malheureusement notre vie a besoin de « meubles », mais ce sont les sentiments, les souvenirs, qui la font valable. Meilleurs voeux depuis le Portugal, mon AMI..
    A+

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    • Et moi, je me souviens avec bonheur de nos dimanches matins passés à presser des oranges tandis que le soleil se levait et nous éblouissait. A cette époque, je pensais qu’au fur et à mesure que nous avancerions dans nos vies, nos perspectives iraient en s’amoindrissant. Et puis ça a été le contraire, les portes se sont ouvertes, l’horizon s’est agrandi. Grâce aussi à quelques-uns dont tu fais partie, qui tantôt m’ont servi d’exemple, tantôt m’ont soutenu, et tantôt aussi ont exprimé la différence de leur point de vue. Alors pour les souvenirs, pour ta droiture, pour tout le reste, merci encore!

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